A l’entrée de l’intermarché, un monsieur qui fait la manche : « Je voudrais des citrons » Je lui achète deux citrons. Il me dit : « Il faut des vitamines. Vous avez vu les infos ? Coronavirus ! Romania... Italie... Morts... Kaputt... Sterben ! »
Minuit trente, on sonne à la porte. J’ouvre la fenêtre. Un type visiblement bourré. « Bonjour, je m’appelle... et je suis... Heu... Écrivain ! » Il souffle et lève les bras : « J’suis écrivain, voilà. » Je lui dis que je suis désolé mais qu’on est confinés. Il hausse les épaules : « Pfff, je le sais bien, tout le monde est confiné d’abord ! »
Dans la nuit, des pleurs d’enfants dans les jardins. En fait ce sont des chats. Très angoissant.
Réveillé à l’aube : la lune est encore dans le ciel. Puis soudain, un chant d’oiseau, magnifique. Un soliste.
Juste après, une extraordinaire symphonie qui se construit, avec tous les oiseaux du parc derrière la maison. Surnageant, les efforts sublimes du soliste. Avec l’arrivée des mouettes, très haut et très loin, c’est la fin. C’est le premier jour du monde.
Maïwenn joue à la marchande. Je lui achète une paire de chaussures. Elle me demande : « C’est pour un anniversaire ou un enterrement ? »
On court avec Maïwenn, avec notre attestation dérogatoire. Gros trou dans le bitume au milieu de trottoir, délimité par des rubalises. Elle s’arrête : « Oh, il doit y avoir une grosse taupe. »
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Trouvé dans l’évier ce matin, un mille-pattes translucide, brillant, très vif et difficile à attraper. Mis dans un mouchoir en papier. Je l’ai relâché dans le jardin.
Trouvé sa photo sur internet : c’est un scutigère véloce, ou mille-pattes de maison.
Scutigère véloce. Lu dans le Télégramme : « Si vous avez la chance de trouver cette merveille, ne l’écrasez pas. »
Animal discret, il ne sort que la nuit et mange les araignées et les punaises de lit. On ne le voit jamais car il est très rapide. Souvenir très lumineux toute la journée.
Dame devant le lavoir, que des voisins ont aménagé avec des chaises de jardin et de fleurs en pot : « Pfff, je suis contre, moi ce que j’aime, c’est les lavoirs à l’abandon. »
Devant le centre d’art Passerelle, comme un film de Jacques Tati. P arrive au volant d’un corbillard, qu’il a retapé. « C’est pratique pour voyager, on peut dormir à deux. »
En face, un type en short fait de la corde à sauter sur le trottoir en vérifiant ses jardinières sur le rebord de ses fenêtres.
Apparaît Pierre dans la rue adjacente, avec son appareil photo, avec un petit air de conspirateur.
On vide les abords de la maison de Jacques. Dans une tente on retrouve le vieil épouvantail avec la tête de ballon.
Déchetterie de Vieux-Marché : on vide le camion. Chez Jacques, on a trouvé un sac de feux d’artifices. Je demande au gars de la déchetterie, qui regarde les fusées d’un œil brillant. « Dangereux, ça, dangereux. »
Je lui dis : « On jette aussi un treuil. » Son regard s’allume : « Quel genre de treuil ? »
« Je ne sais pas, je n’y connais rien en treuil. » « Je prends, mettez le près de la cabane, ça peut servir pour les vaches. »
Soudain, il ouvre de grands yeux, en regardant au-dessus de ma tête : « Bon dieu, qu’est-ce que c’est que ça ? » Je me retourne. Partout dans le ciel, des taches noires qui volent. J’ai l’impression que ce sont des cendres.
En fait c’est un essaim.
En route pour Feyzin. Sur la route, on passe une rivière appelée Roule-Crottes.
J’ai demandé aux gars, qui vivent à la campagne, si ils avaient déjà vu un scutigère véloce, mais pas du tout.
Feyzin. Le gîte est joli et il y a une piscine. Entre les arbres, la forêt de cheminées de la raffinerie. C’est la vallée de la Chimie.
La nuit, à intervalles réguliers, la flamme monte et on entend un bruit de coup de chaud dans toute la vallée.
Retour à Brest. Un pharmacien masqué et son client âgé et lui aussi masqué : « comment ça va monsieur x ? » « Très mal. J’en ai plus pour longtemps. » « Tut tut tut, rien de plus faux. Tenez, passez moi votre ordonnance. Hop hop hop. »
En sifflotant, il ramène les médicaments. « Et voilà, bonne journée sous ce soleil resplendissant ! A votre image ! »
C’est mon tour. Je m’approche : sous son masque, tout en classant ses tickets, il fredonne la chevauchée des Walkyries.
Île de Bréhat. Une grosse dame au milieu du chemin, appelle sa fille de loin : « Putain, mais qu’est-ce tu fous, Edelweiss ? »
Carrefour express, un grand gars en jogging avec une fine moustache et un regard brillant achète un pack de bières. Il regarde autour de lui. Il a le visage couvert de sueur.
Embarcadère de Bréhat, retour. Le même type, toujours en jogging, mais le visage défait, il a vieilli de dix ans en une nuit, et il marche avec une canne.
Plus loin, il attend le car effondré dans un coin, en se roulant un énorme joint.
Cafétéria du Leclerc de Plérin, une dame reproche à la serveuse de l’avoir dévisagée et l’insulte : « Tiens et puis j’me casse ! Salope ! » Puis, tout en s’éloignant et en donnant des coups de canne dans le vide : « Thermomètre dans l’anus, tiens ! Côte de porc ! »
Vacances. A nouveau, on passe par Roule-Crottes.
Noms sur la route : le Grand Courtoiseau, Partoiseau, Planches en Montagne, Poids de Fioles.
Jura. Au pied des cascades du Hérisson, des promeneurs au bord du ruisseau qui parlent fort et font comme un générateur aléatoire de titres de San Antonio : « Bouge plus et pis frotte ! »
Jura. Au bord du lac, des baigneurs sortent se sécher : « Et ta diarrhée, Pascal, comment ça va ? »
Retour à Feyzin. La vallée de la chimie, avec ses fusées qui crachent du feu, la nuit, on dirait le Mordor.
La piscine est un peu froide, et infestée de moustiques tigres.
Septembre : ils ont presque fini de démolir l’ancienne gendarmerie. Il reste juste la façade, dont l’arrière est couleur brique. On dirait le palais du vent à Jaïpur, qui n’est fait que d’une façade sans rien derrière et qui n’abrite que le vent qui siffle à travers ses fenêtres.